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Se défendre dans la Nouvelle Agora : Ce que la rhétorique peut vous apprendre face au tribunal populaire

  • Photo du rédacteur: Victor Ferry
    Victor Ferry
  • 26 mai
  • 5 min de lecture




Nous assistons aujourd’hui à un phénomène récurrent : celui des créateurs de contenu qui, après avoir été pris dans une tempête médiatique, s’asseyent face caméra, cernes visibles, ton contrit, pour faire des excuses publiques à leur communauté. Norman, Pierre Chabrier, Dany Caligula… les exemples se multiplient.


Ces scènes sont devenues presque un genre à part entière. Mais derrière ce rituel d’excuse se joue quelque chose de bien plus profond. Quelque chose de rhétorique. Car il ne s’agit pas simplement de communication de crise ou de storytelling : ce que nous voyons là, c’est le retour de l’Agora.



Le retour de l’Agora



À l’origine, la rhétorique est née avec la démocratie directe. À Athènes, au Ve siècle avant notre ère, on ne réglait pas ses conflits en s’adressant à une autorité religieuse ou judiciaire. On se rendait sur la place publique. On plaidait soi-même sa cause, devant un jury citoyen, immense parfois. L’accusation parlait. Puis la défense. Et la foule tranchait. À main levée. Sans appel.


Ce que nous vivons aujourd’hui sur les réseaux sociaux, c’est une version numérique de cette Agora antique. Un espace sans intermédiaire où le public juge. Et parfois condamne. Plus vite que la justice. Plus fort que les institutions. Plus brutalement aussi.


Norman, par exemple, a été blanchi par la justice. Mais sa carrière est morte. Il a été condamné non pas par un tribunal de droit, mais par une foule qui, elle, n’attend pas les enquêtes, ni les expertises. Elle juge sur impressions. Elle juge sur rumeur. Elle juge sur morale.



Ce que la rhétorique nous apprend



Plutôt que de déplorer ce fonctionnement ou de s’y abandonner, on peut y appliquer les outils de la rhétorique. Car la rhétorique antique n’a jamais été un art de la manipulation, comme le disait Platon. Elle a toujours été, avant tout, une méthode de délibération en situation de crise. Une manière de trancher face à l’incertitude.


Et pour cela, les Anciens ont inventé un outil remarquable : les lieux du judiciaire. Les “lieux”, ce sont les angles d’attaque ou de défense qu’on peut utiliser dans une situation où un comportement est jugé problématique. Ces lieux permettent de structurer un plaidoyer. De penser sa défense. Ou de fonder un reproche de manière juste.


Voici ces lieux, et pourquoi ils vous concernent, même si vous n’êtes pas Norman.




1. Le lieu de la règle



Première question à se poser : quelle est la règle qui aurait été enfreinte ? Est-ce une loi claire ? Ou est-on dans une zone grise ?

Une faute n’existe que si une norme explicite ou implicite a été transgressée.


👉 Exemple : Un créateur de contenu a-t-il le droit d’entretenir des relations amoureuses avec ses fans ? Il n’y a pas toujours de loi écrite. Mais il peut y avoir une attente morale. Encore faut-il la formuler clairement.


Dans un cadre professionnel : est-ce que cette blague ironique en réunion enfreint une règle explicite de respect ? Est-ce écrit quelque part ? Peut-on formuler cette règle ?




2. Le lieu des intentions



Beaucoup d’erreurs ne sont pas volontaires. Une remarque maladroite, un comportement déplacé peuvent être interprétés très différemment selon qu’on suppose une intention malveillante ou une maladresse.


👉 Exemple : le retard chronique d’un collègue. Est-ce du mépris ? Ou une difficulté personnelle ?

Quand vous êtes attaqué, on cherchera à qualifier vos intentions négativement. À vous de montrer que vous aviez une autre logique. Et pour cela, rien ne vaut un travail en amont sur votre vision, vos valeurs, votre transparence.


Clarifier vos intentions, ce n’est pas de la justification. C’est une manière de rendre vos actes lisibles, et d’éviter qu’on vous en attribue d’autres.




3. Le lieu des circonstances



Un même acte n’a pas la même portée selon le contexte.


👉 Voler une coque d’iPhone ou voler un jambon parce qu’on a faim : ce n’est pas la même chose.

👉 Faire une blague dans un moment de tension pour détendre l’atmosphère ou pour ridiculiser : là encore, le contexte compte.


Si vous êtes dans une position de management, tenir compte des circonstances, c’est faire preuve de discernement. C’est éviter la sanction mécanique. C’est juger avec justesse.




4. Le lieu du précédent



Quelles ont été les décisions prises dans des cas similaires ? Ont-elles été cohérentes ? Peut-on dénoncer une injustice, un deux poids deux mesures ?


👉 Exemple : “Quand untel a fait la même chose, personne ne l’a attaqué. Pourquoi moi ?”

👉 Ou, au contraire : “Je ne suis pas comme cette personne, car les circonstances sont très différentes.”


Jouer avec les précédents, c’est ancrer votre cas dans une jurisprudence morale. C’est forcer votre auditoire à regarder au-delà du choc immédiat.




5. Le lieu du caractère



Quel est votre étos ?

Un comportement isolé ne dit pas la même chose qu’une répétition. Une erreur unique peut être un accident. Une habitude, un trait de caractère.


👉 Exemple : Un manager irrité une fois en réunion. Ou constamment agressif depuis 6 mois. Ce n’est pas pareil.

Votre réputation vous précède. Et elle vous protège… ou vous condamne.


Dans une situation d’accusation, les gens chercheront à écrire un récit sur vous. Ils diront : “C’est pas la première fois.”

À vous de construire un étos solide, cohérent, et d’anticiper les récits toxiques.




6. Le lieu des conséquences



Enfin, toute décision a des effets. Être clément, c’est envoyer un signal. Être dur aussi.


👉 Exemple : “Si on laisse passer, on banalise ce comportement.”

👉 Ou, à l’inverse : “Si on sanctionne sévèrement, on crée un climat de peur qui détruit la confiance.”


Dans la Nouvelle Agora, chaque verdict est un message collectif. Un précédent. Un modèle.




Une méthode utile au-delà de la polémique



Ces lieux ne sont pas réservés aux grands procès médiatiques.

Ils sont utiles en entreprise, en famille, en politique, dans toutes les situations où une décision doit être prise sur un comportement perçu comme problématique.


Ils permettent de :


  • Sortir de la réaction émotionnelle immédiate

  • Structurer un jugement équitable

  • Préparer une défense solide

  • Adopter une position juste, que l’on soit juge ou accusé





Le procès juste : une pratique rhétorique



Ce que la rhétorique nous apprend, ce n’est pas à manipuler.

C’est à structurer.

À organiser la parole.

À éviter l’arbitraire.


Et dans un monde où les “tribunaux populaires” rendent leur verdict en quelques heures, cette rigueur est une nécessité vitale.


Alors, que vous soyez créateur de contenu, manager, ou simple citoyen exposé, posez-vous toujours ces six questions :


  1. Quelle règle a été enfreinte ?

  2. Quelles étaient les intentions ?

  3. Quelles étaient les circonstances ?

  4. Que disent les précédents ?

  5. Que révèle le caractère ?

  6. Quelles seront les conséquences du jugement ?




Ce sont ces six lieux que je vous propose d’imprimer, de garder sous la main, de remplir quand une crise éclate.


Parce que la rhétorique, ce n’est pas faire des discours.

C’est savoir parler quand c’est dur.

C’est peser avant de juger.

Et c’est résister, sans trembler, dans la nouvelle agora.

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