La rhétorique, ce n’est pas un don. C’est un pouvoir qu’on apprend.
- Victor Ferry
- 9 sept.
- 5 min de lecture
On m’a récemment invité à répondre à une série de questions sur la rhétorique pour aider des élèves qui préparent les concours des grandes écoles. Comme souvent dans ce type d’échange, la discussion a vite dépassé le cadre du concours pour toucher à quelque chose de plus large : qu’est-ce que ça veut dire, aujourd’hui, savoir bien parler ?
Je pense que ce serait dommage de réserver ces idées à une poignée d’étudiants. Alors je prends le temps ici de reformuler les réponses que j’ai données, pour les partager avec tous ceux qui s’intéressent à l’éloquence. Que vous soyez étudiant, entrepreneur, créateur de contenu ou manager, ce qui suit vous concerne.
Pourquoi j’ai choisi la rhétorique
J’ai d’abord étudié le droit, l’économie, la science politique, l’histoire. C’était une formation interdisciplinaire assez proche de ce qu’on trouve à Sciences Po. Et au milieu de tout ça, il y avait un cours de rhétorique. C’est ce cours-là qui m’a accroché.
Parce que contrairement aux autres matières, très théoriques, la rhétorique me montrait une chose simple et puissante : la manière dont je parle peut changer ce que les gens pensent, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils font.
Autrement dit, ce n’était pas juste un savoir. C’était un levier d’action sur le monde.
J’ai poursuivi avec un doctorat. J’ai enseigné à l’université, puis dans des entreprises, des cabinets d’avocats, des agences, des partis politiques. Et j’ai surtout essayé de diffuser ces outils de manière plus large, en les adaptant aux nouvelles formes de communication.
L’éloquence naturelle, c’est souvent un piège
Je le dis à chaque nouvelle promotion : si tu n’es pas à l’aise à l’oral, ce n’est pas un problème, c’est même une opportunité.
Quand j’ai travaillé avec des enfants, des lycéens, des étudiants ou des adultes, j’ai toujours vu la même chose : les plus “à l’aise” stagnent très vite, parce qu’ils pensent ne pas avoir besoin de progresser. Tandis que ceux qui butent un peu au début, qui se rendent compte que ce n’est pas si simple, font des progrès spectaculaires.
On ne devient pas meilleur en “ayant de la tchatche”. On devient meilleur en arrêtant de parler comme on respire, et en commençant à réfléchir à ce qu’on dit. À comment on le dit. Et surtout : à ce que ça produit chez les autres.
Les cinq compétences fondamentales
La rhétorique repose sur cinq compétences que je fais travailler dans mes formations :
L’invention, c’est la capacité à produire des idées. Je propose souvent un exercice très simple : faire une liste de ses convictions, et essayer de défendre l’inverse. Ça met l’esprit dans une position inconfortable mais stimulante.
La disposition, c’est l’art de structurer un discours. Par exemple : je commence par poser un problème, je propose un diagnostic, puis une solution. Ce type de plan est très utile en entretien ou en prise de parole politique.
Le style, c’est la manière de rendre les idées percutantes. Une idée ne vaut rien si elle n’est pas formulée de façon mémorable. Il faut apprendre à utiliser des procédés simples : la répétition, le parallélisme, les images.
La mémoire, c’est ce qui permet de parler sans lire ses notes, d’être connecté au public, de pouvoir ajuster en temps réel. On ne convainc pas quand on lit, on convainc quand on regarde les gens.
La performance, c’est le travail sur l’énergie, le rythme, l’engagement du corps. Un bon discours n’est pas seulement un enchaînement logique : c’est un parcours émotionnel.
Oui, la rhétorique est toujours une arme
Dans l’Antiquité, un bon discours pouvait sauver une vie. Socrate est mort parce qu’il a perdu son procès. Aujourd’hui, ce n’est plus le tribunal qui décide, c’est l’opinion publique, les réseaux sociaux, les communautés en ligne.
Si tu fais une erreur en public, le jugement social peut être plus violent et plus définitif que celui d’un tribunal. Il faut donc savoir anticiper les pires attaques, les objections les plus injustes. Ce travail-là, personne ne le fera à ta place.
Mais ce même monde où tout peut basculer en un clic, c’est aussi un monde où chacun peut prendre la parole. Il n’est plus nécessaire de rejoindre un parti, d’attendre une autorisation, d’être coopté. Tu peux créer ton propre espace, ta propre tribune, ton propre public. Et ça, c’est nouveau.
Pour convaincre, il faut raconter
Je vois trop de jeunes qui, en entretien, alignent des qualités abstraites. “Je suis motivé.” “Je suis dynamique.” “Je suis rigoureux.” Mais personne ne retient ça.
Ce qui marque un jury ou un recruteur, c’est une histoire concrète.
Si je dis que je suis capable de travailler en équipe, je dois le montrer dans une situation précise. J’explique ce qui s’est passé, ce que j’ai observé, ce que j’ai décidé de faire, ce que ça a produit. Et là, la qualité devient crédible.
Un bon orateur est capable d’incarner ses idées. Pas seulement de les dire.
Le stress est réel, mais on peut le dompter
Le stress, c’est ce que les élèves craignent le plus. Et ils ont raison. Le stress fait chuter la performance.
Ma stratégie, c’est de déplacer le regard. Je ne suis pas le héros de l’histoire. Je suis un des éléments de l’échange. Le jury a son rôle, j’ai le mien. Et au lieu de réciter mon texte, je peux poser une question, demander s’ils veulent que je développe un point plutôt qu’un autre.
Quand on se sent déstabilisé, il faut créer de la connexion. Plutôt que se crisper, on ouvre la porte à l’interaction.
Et si la personne en face est agressive ? On ne rentre pas dans le rapport de force. On commente ce qui est en train de se passer. On demande à clarifier ce qui est attendu. Ça suffit souvent à rétablir un échange plus serein.
Le charisme, c’est quoi au juste ?
Le charisme, on le confond souvent avec une sorte de magnétisme naturel. Je préfère une autre définition : le charisme, c’est la capacité à poser son propre cadre.
C’est ce qui se passe quand tu refuses de suivre le rythme imposé. Quand tu dis : “Tout le monde fait comme ça, mais moi je vais faire autrement.”
C’est risqué. On n’est jamais très loin du ridicule. Il faut un peu d’orgueil, un peu de confiance. Mais c’est à ce moment-là qu’on commence à sortir du lot. C’est là que naît la présence.
Si je devais recommander une première lecture
J’ai écrit deux livres que je considère comme des portes d’entrée utiles :
12 leçons de rhétorique pour prendre le pouvoir : c’est un guide pour structurer son discours, en partant de ses convictions et de ses combats.
12 leçons de dialectique : c’est un manuel pour affronter la contradiction, défendre ses idées sous pression, et transformer les attaques en opportunités.
Ces deux livres s’appuient sur les classiques (Aristote, Cicéron), mais je les ai écrits pour qu’ils parlent au monde d’aujourd’hui. À un orateur d’aujourd’hui.
Un dernier mot
La rhétorique, ce n’est pas un concours. Ce n’est pas une performance. Ce n’est pas un art élitiste.
C’est une compétence vitale. Parce qu’on vit dans un monde où celui qui parle mal perd. Celui qui parle bien peut changer sa vie.
Et ça, ça s’apprend.
Commentaires